INTERVIEW – Le Dr Manuelle von Strachwitz est psychiatre et psychothérapeute spécialiste de l’hypnose.
LE FIGARO. – Pour l’hypnothérapeute que vous êtes, que représente notre capacité de rêverie?
Manuelle VON STRACHWITZ. – Je dirais que c’est l’état hypnotique sans le savoir. L’être humain a en effet plusieurs manières possibles d’être au monde. Il peut expérimenter tout un continuum d’états de conscience, qui vont de la veille au sommeil profond, en passant par la rêverie justement et d’autres expériences simples de dissociation vécues à l’état conscient. Lorsque l’on conduit, par exemple, on est à la fois ici et ailleurs en même temps, on pense aux courses à faire, à sa journée de travail et, cependant, on n’a pas d’accident! Un concertiste, de même, est à la fois très présent à son instrument et absent à ce qui n’est pas la musique au moment où il joue. Si on interrompt cet état, il perdra sa fluidité de jeu! Ainsi, nous avons tendance à oublier la palette d’états de conscience dont nous disposons. Nous ne nous percevons qu’en modes «on» ou «off», ce qui est très réducteur. Et nous avons du mal à comprendre que l’hypnose n’est qu’une technique qui utilise l’un de nos états de conscience.
En quoi cet état peut-il s’avérer thérapeutique?
Nous vivons la plupart du temps avec un moi conscient très présent. Mais il est important pour notre équilibre d’avoir accès à notre intériorité, de nourrir un dialogue entre notre inconscient et notre conscient et de pouvoir être dans le mouvement de la vie et de changer. L’état d’hypnose ou de rêverie induite, avec ce moi plus lointain et une dissociation modérée, amène la personne à vivre différemment sa réalité. Elle entraîne une mise en mouvement, comme lorsque vous laissez un enfant s’ennuyer: au bout d’un certain temps, il «lâche intérieurement», et va se mettre à un nouveau jeu… Il devient créatif.
Avec un patient en difficulté, comment cela se passe-t-il?
L’objectif est de mettre la personne dans une disposition d’esprit qui lui permette de changer. Trop souvent, on arrive en psychothérapie après avoir tout essayé. Mais la plupart demandent de changer, dans la continuité. La plus grande difficulté, c’est le «oui, mais…» à chaque solution envisagée: «je voudrais arrêter de fumer… oui, mais je suis stressé», ou «je voudrais apaiser mes relations avec mon enfant… oui, mais il est insupportable». Quand l’état hypnotique est induit, on peut proposer à la personne de «métaphoriser» son problème, l’amenant ainsi à être créative avec ce qu’elle vit. Ainsi, si elle se décrit dans un «cul-de-sac», on l’invitera à s’asseoir tranquillement au fond de cet espace… Le plus souvent, après l’apaisement qui en découle, une solution apparaît. Si, au contraire, il y a résurgence d’angoisse, on l’invite à se placer différemment dans son «film». Car il faut être vigilant: si notre capacité de rêverie, en nous reliant à notre inconscient, peut nous guérir, elle peut aussi être néfaste.
De quelle manière?
Toute bienfaisante qu’elle soit, la rêverie mérite attention. En effet, certains peuvent se retrouver «subjugués» par le pouvoir des images surgissant dans leur esprit…. Ces rêveurs peuvent alors avoir tendance à se réfugier dans cet imaginaire au point de vivre de moins en moins dans la «vraie vie». Il y a alors un trop grand écart entre vie consciente et vie imaginée… Le cannabis est un grand activateur de ce genre de situation.
Qu’est-ce qui, selon vous, nuit le plus à cette capacité d’auto-thérapie naturelle?
Indéniablement, les écrans. Ils nous maintiennent dans l’inertie psychique. Lorsque l’on joue à certains jeux vidéo, ou lorsqu’on se perd dans un «solitaire» pendant des heures, on est non créatif. Seul le fait de lâcher l’état conscient permet de laisser advenir de nouvelles idées.
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